Ronan & Erwan Bouroullec aux Arts décoratifs

 Du 26 avril au 1er septembre derniers, les frères Bouroullec faisaient l’objet d’une exposition au musée des Arts décoratifs de la ville de Paris. Grande rétrospective de leurs quinze années de carrière, leurs oeuvres prenaient place sur un ensemble de 1000 mètres carrés. Tous les aspects de leur travail sont représentés, du mobilier à l’installation monumentale, en passant par leurs croquis et leur processus de conception d’un objet. Ronan et Erwan Bouroullec pensent la scénographie de l’espace d’exposition. Dominique Forest, conservatrice du département Moderne et Contemporain est la commissaire d’exposition, assistée par Marianne Brabant, assistante de conservation.

Affiche: Exposition - Ronan et Erwan Bouroullec. Momentané, Musée des Arts décoratifs de la ville de Paris, © Les arts décoratifs, (169,34x254 mm.).

Affiche: Exposition – Ronan et Erwan Bouroullec. Momentané, Musée des Arts décoratifs de la ville de Paris, © Les arts décoratifs, (169,34×254 mm.).

A peine entrés dans l’exposition, nous sommes déjà submergés par une vague impressionnante de tissus colorés, plastique ou polyester. Il s’agit des « Algues« , « North Tiles« , « Twigs » et « Clouds », trônant majestueusement dans la nef principale. Ces quelques unes de leurs oeuvres monumentales, approchant la micro-architecture tant leurs dimensions sont grandes, nous impressionnent par leur association. Le ton est donné: le reste de l’exposition nous immergera complètement dans le travail des frères Bouroullec.

Bouroullec R. et Er. & Musée des Arts décoratifs de Paris, Exposition "Momentanée", Entrée, © Architecture Interieure Cree, (83,87x128,05 mm.).

Bouroullec R. et Er. & Musée des Arts décoratifs de Paris, Exposition « Momentanée », Entrée, © Architecture Interieure Cree, (83,87×128,05 mm.).

Les murs de salle qui suit, dans le transept, sont entièrement occupés par des centaines de croquis des frères Bouroullec. On découvre des dessins au stylo, pastel, crayon, étonnement bruts. On repère certains traits, que toute autre personne aurait certainement du mal à concevoir, mais qui recueillent une idée, un concept que les frères Bouroullec feront souvent passer du papier à l’état matériel.

Bouroullec R. et Er., Croquis de l'exposition momentanée, nef secondaire, salle des croquis, © Bouroullec, (209,81x145,25 mm.).

Bouroullec R. et Er., Maquette de l’exposition « Momentanée », nef secondaire, salle des croquis, © Bouroullec, (209,81×145,25 mm.).

La longueur entière de la salle, ou presque, est occupée par une série de bureaux, instaurant une ambiance bureaucratique assez étonnante au sein d’une exposition. L’ensemble aurait pu être froid si le mobilier n’avait pas été conçu pour laisser à l’individu une part d’intimité. Ainsi, chaque bureau, qu’il s’agisse des « Workbay » crées pour Vitra en 2013, poussant particulièrement le côté « sphère intimiste » au sein de l’espace de travail, ou bien les « Corktable », assure une dimension semi-privée à l’utilisateur. Sur quelques uns des bureaux sont posées des lampes de chevet à la lueur douce, accompagnant la lecture du catalogue d’exposition, disposé sur les tables.

Nous avançons un peu plus et tombons sur une vidéo, projetée sur l’un des murs. Plutôt que d’être installée dans une salle sombre, comme c’est souvent le cas dans de nombreuses expositions; la projection se situe dans la nef éclairée par les gigantesques fenêtres donnant sur le jardin des Tuileries. Des chaises, dont la « Vegetal Chair » (2008) ou la « Osso Chair » (2011) sont installées en face de l’écran, invitant le visiteur à s’asseoir. La vidéo explique le processus de création des frères Bouroullec, la manière dont ils mènent à bien leurs projets, du croquis à la réalisation matérielle en passant par les maquettes et expérimentations.

Nous entrons ensuite une nouvelle fois dans la nef principale, dont la longueur était séparée par un immense rideau d’Algues. Au centre se trouve une grande plateforme, sorte de gigantesque matelas aux couleurs reposantes, du blanc, gris, vert ou du bleu, véritable invitation au repos. Il s’agit du « Textile Field » crée en 2011 à l’occasion du London Design Festival. D’ailleurs, les visiteurs n’hésitent pas à retirer leurs chaussures et à monter dessus, s’asseyant ou s’allongeant le temps d’un petit moment de ressource.

Bouroullec R. et Er., "Textile Field", 2011, mousse et tissus colorés, dim. inconnues,  © Studio Bouroullec & V&A Images, Victoria and Albert Museum, (211,67x141,02 mm.).

Bouroullec R. et Er., « Textile Field », 2011, mousse et tissus colorés, dim. inconnues, © Studio Bouroullec & V&A Images, Victoria and Albert Museum, (211,67×141,02 mm.).

Le reste de l’exposition passe rapidement. Nous croisons plusieurs de leurs oeuvres emblématiques, comme le « Lit clos » (1997) ou les « Vases combinatoires » (1997), ainsi que des photographies et autres conceptions. Des alarmes sont mises en place dans cette partie de l’exposition, sonnant lorsque le spectateur s’approche trop près de l’objet. Cela surprend au début et devient rapidement agaçant, mais ne gâche en rien le plaisir de découvrir les oeuvres des frères Bouroullec de nos propres yeux. Sortis de l’exposition, nous sommes satisfaits. La scénographie était telle que le spectateur pouvait entrer en contact direct avec les oeuvres et objets. La relation souvent froide et distante, courante dans de nombreuses exposition, s’amenuise et laisse place au plaisir d’expérimenter les objets de nous-même. Ainsi, cette exposition permet un véritable plongeon dans l’univers de Ronan et Erwan Bouroullec. Le temps d’une heure, le monde extérieur disparait, pour emmener le spectateur dans une vague d’oeuvres monumentales, mobilier et installations, toujours plus étonnants les uns que les autres.

Fèvre Anne-Marie, « Les frères Bouroullec: un grand moment », next.libertation.fr, En ligne, ‹http://next.liberation.fr/design/2013/05/01/les-freres-bouroullec-un-grand-moment_900230, consulté le 11/04/2014.

« Ronan et Erwan Bouroullec. Momentanée », lesartsdecoratifs.fr, En ligne, ‹http://www.lesartsdecoratifs.fr/francais/arts-decoratifs/expositions-23/archives-25/ronan-et-erwan-bouroullec/presentation-3133›, consulté le 11/04/2014.

« The Workbay Office », vitra.com, En ligne, ‹http://www.vitra.com/en-us/magazine/details/the-workbay-office›, consulté le 11/04/2014.

Vidéo: « Ronan et Erwan Bouroullec – Designers » (de Diplômés Euromed-Design), Support: Vimeo, 23:43 mn., © Arte France et und/ Image &Compagnie.

Parcours professionnel

Ronan et Erwan Bouroullec sont deux designers français.

Ronan Et Erwan Bouroullec

Ronan et Erwan Bouroullec, © Hansgrohe France, (30,5 x 17,2 cm.).

Parcours artistique:

Diplomé de l’école nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, Ronan Bouroullec, né en 1971, commence à travailler seul puis s’associe avec son frère Erwan Bouroullec, né en 1976, diplomé de l’école supérieure d’arts de Cergy-Pontoise.

En 1997, en présentant leur cuisine désintégrée au Salon du Meuble, ils sont repérés par Giulio Cappelini qui leur confie leurs premiers projets de design industirel (Lit clos, Spring Chair)

L’année 1999 marque le début de l’association entre les deux frères. Le fil directeur de leur association est de mener un travail au sein d’un dialogue permanent et d’une exigence commune vers plus de justesse et de délicatesse.

Les deux frères multiplient ensuite les collaborations.

En 2000, ils créent un espace déstiné à la nouvelle collection de vêtements Apoc à Paris d’Issey Miyake.

La rencontre avec Rolf Fehlbaum, président de Vitra, marque un moment décisif dans leur carrière.

En 2004 ils s’associent avec l’éditeur Magis et créent deux collections complètent de mobilier.

Aujourd’hui les frères Bouroullec collaborent avec de nombreux industriels dont on peut citer: Vitra, Kvadrat, Magis, Kartelle, Established and Sons, Ligne Roset, Axor, Alessi, Issey Miyake, Cappellini, Mattiazzi, Flos, Mutina et Hay.
Ils travaillent égalment au sein de la galerie Kreo pour laquelle ils mènent une activité de recherche.

Prix et récompenses:

Les frères Bouroullec se font reconnaître petit à petit comme des pionners du design actuel.

En 1998, on leur attribue le Grand Prix du Design de la Ville de Paris, en 1999 ils reçoivent le new designer award de l’international contemporary furniture de New York. En 2002, ils sont élus créateurs de l’année au salon du meuble. Ils ont également été récompensés par le Finn-juhl Prize de Copenhague et en 2011 ils sont élus créateurs de l’année Maison et Objet Now !.

Leurs créations également ont recu des prix comme la distinction Best of the Best du red dot award (pour leur collection Facett, le canapé Ploum et la chaise de bureau Worknest), ou le prix ICFF (la chaise Vegetal), le prix Compasso d’Oro (la Steelwood)

Steelwood

Er. et R. Bouroullec, Steelwood, 2007, bois, 550 x 460 x 760 mm, © Ramon Custom design and Chairs.

Canapé ploum, 2011, tissu, mousse, acier, 2020 x 1190 x 760 mm, © studio Bouroullec.

Er. et R. Bouroullec, Canapé ploum, 2011, tissu, mousse, acier, 2020 x 1190 x 760 mm, © studio Bouroullec.

R. et Er. Bouroullec, Chaise Worknest, 2007, aluminium, tissu, 670 × 590 x 900 mm,  © Paul Tahon and R & E Bouroullec.

Er. et R. Bouroullec, Chaise Worknest, 2007, aluminium, tissu, 670 × 590 x 900 mm, © Paul Tahon and R & E Bouroullec.

Er. et R. Bouroullec, Vegetal chair, 2008, polyamide, 606 × 552 x 813 mm, © Paul Tahon and R & E Bouroullec.

Expositions:

Design Museum de Londres en 2002, Museum of Contemporary Art de Los Angeles, musée Boijmans van Beuningen de Rotterdam et de La Piscine à Roubaix en 2004, Villa Noailles, Hyères en 2008, Grand Hornu, Belgique en 2009 ainsi que le Centre d’architecture arc en rêve à Bordeaux et le Victoria and Albert de Londres en 2011. Deux expositions leurs ont été consacrées en 2012: l’exposition « Album » qui présente plusieurs centaines de dessins et croquis originaux au Vitra Design Museum, Weil am Rhein et l’exposition monographie « Bivouac », au Centre Pompidou Metz.

Réalisations marquantes:

Lit Clos (2000), galerie Kreo

Module Cloud (2002), Cappellini

Système de bureau Join (2002), Vitra

Module Algues (2004), Vitra

Fauteuil Facett (2005), Ligne Roset

Café et boutique du Mudam (musée d’art moderne du Luxembourg)

The Floating House (« la maison flottante », 2006), résidence d’artistes du cneai, Chatou

Tuile textile North Tiles (2006), Kvadrat

Canapé Alcove (2006), Vitra

Chaise Steelwood (2008), Magis

Chaise Vegetal (2009), Vitra

Canapé Ploum (2011), Ligne Roset

Er. et R. Bouroullec, « Biography », Bouroullec.com, En ligne, http://www.bouroullec.com/, consulté le 16/03/2014.

« Ronan et Erwan Bouroullec », Wikipedia.org, En ligne, http://fr.wikipedia.org/wiki/Ronan_et_Erwan_Bouroullec, consulté le 16/03/2014.

« Ronan & Erwan Bouroullec », Madeindesign.com, En ligne, http://www.madeindesign.com/d-ronan-erwan-bouroullec.html, consulté le 16/03/2014.

Les « Algues » : conception modulaire par excellence

Si je devais choisir une oeuvre représentant le plus le travail des frères Bouroullec, leurs « Algues »,  sont celles qui apparaitraient en premières. En effet, elles sont certainement l’exemple le plus parlant de leur réflexions sur l’espace et sa modification au travers d’une infinité de combinaisons.

Elles sont créees en 2004 pour Vitra, une société suisse de fabrication de meubles designs, proposant des solutions pour améliorer la « qualité de l’habitat ». Ce produit n’est pas la première association des frères Bouroullec avec l’entreprise Vitra. C’est en 2002 que s’effectue le premier contact entre Ronan & Erwan Bouroullec et la société, au travers du directeur actuel de l’entreprise: Rolf Fehlbaum. Rolf Fehlbaum connaissait certaines des réalisations des frères Bouroullec, dont deux de leurs oeuvres les plus emblématiques: le « Lit clos » (2000) et la « Cuisine désintégrée » (1998), auxquels nous consacrerons bientôt un article. Celui-ci est le fils de Willi Fehlbaum, qui a fondé Vitra en 1950, société alors allemande, mais qui deviendra rapidement suisse, suite à un déplacement de siège social à Birsfelden. L’entreprise se concentre sur la production de meubles de designers, bien qu’elle ne restreigne pas son champs d’intérêt à ce seul domaine.

BOUROULLEC R. et Er., Algues, 2004, polyamide injecté, chaque unité: 300 x 40 x 270 mm., © eric & marie – Bouroullec.com, MNAM-CCI (diffusion RMN), (67,73 x 92,6 mm..).

Les « Algues » sont des modules individuels de 32 x 25.7 x 4 cm, en plastique injecté. Ces pièces au titre évocateur (car c’est bien d’algues à proprement parlé dont il s’agit) sont vendues par vingt-cinq et sont disponibles en sept coloris (blanc, noir, vert, rouge, vert-clair, rouge-clair, transparent). Conçues selon des formes organiques, rappelant ostensiblement la nature et ses courbes accidentelles mais harmonieuses, il convient de les associer les unes aux autres. En effet, chaque module peut s’accrocher à ses pairs grâce à des attaches situées à chaque extrémité de leurs branches. Ainsi, une algue n’est pas à concevoir comme une entité autonome, qui se suffit à elle-même. La réelle force de cette conception est l’accumulation de modules, qui permet nombre de combinaisons différentes.

BOUROULLEC R. et Er., Algues, 2004, polyamide injecté, chaque unité: 300 x 40 x 270 mm., © Georges Meguerditchian – Centre Pompidou, MNAM-CCI (diffusion RMN), (9,7 x 13,2 cm.).

Chaque pièce est identique à l’autre, fruit d’une production en série, copie parfaite. Elles peuvent être aisément assemblées à la main. Une attention particulière a été accordée à cette simplicité de montage. Chaque acheteur peut, de cette façon, associer les pièces au gré de ses envies sans difficulté particulière. Ainsi, les « Algues » peuvent être utilisées de différentes manières, sur de plus ou moins grandes surfaces (sachant que 25 modules recouvrent un mètre carré). S’organisant selon l’impulsion, l’envie de son utilisateur. L’accumulation d’algues peut changer leur apparence et l’appréhension que l’on a d’elles. En superposer plusieurs couches viendrait à créer un rideau épais, coupant la lumière, isolant totalement l’espace. Au contraire, n’en disposer qu’une seule épaisseur donnerait une toute autre impression. Le jeu de lumière et d’ombre filtrant à travers les algues, dans des formes souples se trouve totalement transformé, selon leur association. De rideau fin, simple agrément d’une pièce, elles peuvent prendre une dimension monumentale.

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BOUROULLEC R. et Er., Algues, 2004, polyamide injecté, chaque unité: 300 x 40 x 270 mm., © Ronan et Erwan Bouroullec – Bouroullec, (69,32 x 92,6 mm.).

En effet, les « Algues », modules minimalistes, peuvent prendre une envergure presque architecturale. L’accumulation de ces entités peut amener à transformer complètement l’habitat, le recouvrant dans un amas, dans une forêt organique. Lors de la conception du projet, les frères Bouroullec les avait imaginé recouvrir le haut de jardins, le toit d’immeubles. Les algues auraient alors servi de camouflage, offrant à la ville une ornementation plus naturelle. Ou bien comme un rideau épais voulant totalement couper un espace, comme un mur, une paroi infranchissable.

BOUROULLEC R. et Er., Algues, 2004, polyamide injecté, chaque unité: 300 x 40 x 270 mm., © Paul Tahon and R & E Bouroullec – Bouroullec.com, (92,6 x 54,23 mm.).

Les « Algues » sont un bel exemple d’installation modulaire, qui peut transformer un espace en de multiples combinaisons, et offrant de nouvelles solutions pour agrémenter l’habitat. Elles s’inscrivent totalement dans la ligne directrice du travail des frères Bouroullec et leur recherche sur la modification de l’espace; mais aussi sur la possibilité de créer de nombreuses oportunités avec une seule forme. Les combinaisons qu’elles offrent sont infinies et permettent de créer autant d’univers sensoriels différents. Car plus que personnaliser un espace, elles donnent l’opportunité d’expérimenter une ambiance poétique et personnelle.

Présentation et détail des objets: ‹http://www.bouroullec.com/›.

Bajolet Matthieu et Lapointe Thomas, « Erwan Bouroullec: ‘Nos objets doivent pouvoir se reconstituer dans un contexte », revue-entre.fr, En ligne, ‹http://www.revue-entre.fr/?q=content/erwan-bouroullec-nos-objets-doivent-pouvoir-se-reconfigurer-dans-un-contexte, consulté le 05/04/2014.

Gazsi Melina, « Les frères Bouroullec en apesanteur« , lemonde.fr, En ligne, ‹http://www.lemonde.fr/style/article/2013/05/14/les-freres-bouroullec-en-apesanteur_3202309_1575563.html, consulté le 05/04/2014.