L’espace autosuffisant

J’aborderais dans cet article certaines oeuvres de Ronan et Erwan Bouroullec s’inscrivant dans un thème qu’il me parait intéressant d’évoquer: l’espace auto-suffisant. J’entend par là des conceptions qui se suffisent à elles-mêmes et sont à elles seules un espace à part entière, qui les séparent de l’extérieur tout en s’y intégrant. Je présenterais la « Cuisine désintégrée » (1997), le « Lit clos » (2000) et la série des « Alcove sofa » (2006).

Bouroullec R.et Er., Cuisine désintégrée, 1997, aluminium, bois, plastique, mousse peinte, 2200x700x900 mm., © Ronan et Erwan Bouroullec - Bouroullec.com, (158,75x97,63 mm.).

Bouroullec R.et Er., Cuisine désintégrée, 1997, aluminium, bois, plastique, mousse peinte, 2200x700x900 mm., © Ronan et Erwan Bouroullec – Bouroullec.com, (158,75×97,63 mm.).

La « Cuisine désintégrée », que nous avons pu voir dans cet article, est l’oeuvre qui a fait découvrir les frères Bouroullec. En 1997, Ronan sort de l’Ecole nationale des arts décoratifs de Paris et propose avec son frère, au Salon du meuble de la même année, la « Cuisine désintégrée ». Ce meuble nomade, détaché des contraintes d’un plan fixe, permet à Giulio Cappelini de les repérer.  Celui-ci, fondateur de l’entreprise de design « Cappelini », confie aux frères de Bouroullec plusieurs projets, dont le « Lit clos », « Spring Chair » ou bien les « Clouds ».

Bouroullec R. et Er., Lit clos, 2000, bois de bouleau peint, acier peint, aluminium, cotton, cabine: 2400x2000x14000 mm., base: 700 ou 1800 mm.,© Morgane Le Gall - Bouroullec.com, (202,4x211,67 mm.)

Bouroullec R. et Er., Lit clos, 2000, bois de bouleau peint, acier peint, aluminium, cotton, cabine: 2400x2000x14000 mm., base: 700 ou 1800 mm.,© Morgane Le Gall – Bouroullec.com, (202,4×211,67 mm.)

Le « Lit clos », justement, est à l’image de la « Cuisine désintégrée », un espace nomade. En effet, à mi-chemin entre le lit et la chambre, il associe ces deux fonctions. D’un côté, le lit peut-être placé dans une chambre matérialisée, une pièce où il ne servira que de lit. D’un autre côté, il peut être placé dans une pièce toute autre, comme un salon ou une salle principale, pour servir à la fois de lit et de chambre. Il assure un espace intime à l’utilisateur, tout en étant ouvert sur l’extérieur. Ainsi, le « Lit clos » n’est pas oppressant grâce à ses nombreuses ouvertures et ses parois fines. Pourtant, aussi fines soient-elles, les parois offrent un sentiment d’intimité suffisant pour se sentir bien. Ce lit existe en deux surélévations différentes, l’une de 70 centimètres, l’autre de 180. Il approche, d’une certaine manière, l’idée que l’on peut avoir d’une cabane urbaine, quittant son terrain vernaculaire, dans les arbres.

Bouroullec R. et Er., "Lit clos", 2000,  aluminium, bois, plastique, mousse peinte, 2200x700x900 mm.,  © Morgane Le Gall - Bouroullec.com, (124,08x158,75 mm.).

Bouroullec R. et Er., « Lit clos », 2000, aluminium, bois, plastique, mousse peinte, 2200x700x900 mm., © Morgane Le Gall – Bouroullec.com, (124,08×158,75 mm.).

Il s’agit ici de ce que l’on pourrait appelé une « micro-architecture » qui s’inscrit dans la même lignée que la « Cuisine désintégrée ». Le « Lit clos » est auto-suffisant, car il peut à lui seul créer tout un espace. Il est un espace à part entière à lui-même, confortable et intime, mais toujours profondément ouvert sur l’extérieur.  Le « Lit clos » n’a hélas été édité qu’en douze exemplaires, aujourd’hui conservés dans des musées et autres institutions. Il s’agit d’une des oeuvres qui a fait réaliser aux frères Bouroullec qu’ils pouvaient évoluer en dehors du marché, comme l’un des frères l’a déclaré dans une interview:

« Il nous a fait comprendre que l’on pouvait mener un travail de recherche efficace en dehors du marché. » (1)

Outre le « Lit clos » et la « Cuisine désintégrée », une autre de leur conception me paraît particulièrement adéquat au thème de l’espace autosuffisant. Il s’agit de la série des « Alcove Sofa » (2006). Ce sont des fauteuils, mis au point pour la société Vitra. Leur concept est relativement simple: ils veulent créer un espace dans un espace. C’est à dire que ces fauteuils peuvent être placés à l’intérieur d’une pièce et réussir à créer à l’intérieur de celle-ci un espace intime.

Bouroullec R. et Er., "Highcove Sofa Highback", 2007, acier peint, aluminium, mousse, tissus, microfibres, fibre de verre, (2 assises) 1640 x 840 x 1360 mm ou (3 assises) 2370 x 840 x 1360 mm,  © Paul Tahon and R & E Bouroullec - Bouroullec.com, (211,67x151,02 mm.).

Bouroullec R. et Er., « Highcove Sofa Highback », 2007, acier peint, aluminium, mousse, tissus, microfibres, fibre de verre, (2 assises) 1640 x 840 x 1360 mm ou (3 assises) 2370 x 840 x 1360 mm, © Paul Tahon and R & E Bouroullec – Bouroullec.com, (211,67×151,02 mm.).

Combinant la fonction de fauteuil et d’alcôve, ils en exploitent les différentes caractéristiques. De dos, le fauteuil peut-être pris pour une paroi isolant l’utilisateur du reste de la salle. Assise à l’intérieur, la personne entre dans un espace confortable et ergonomique, tranquille et reposant, se distinguant de l’extérieur. Ce fauteuil, crée un espace particulier par sa simple présence. Objet non-fixe, comme la « Cuisine désintégrée » ou le « Lit clos », il les rejoint dans leur dimension autonome. En effet, ces trois conceptions, plus que du mobilier et des objets utilitaires, sont de vrais créateurs d’espace. Ils permettent de créer un espace à l’intérieur d’un espace, d’élaborer une dimension intimiste mais toujours grandement ouverte sur le monde extérieur.

 

(1) Fèvre Anne-Marie, « Les frères Bouroullec: hédonistes Underground« , liberation.fr, En ligne,‹http://next.liberation.fr/design/2011/01/20/les-freres-bouroullec-hedonistes-underground_708764›, consulté le 06/02/2014.

Présentation et détail des objets: ‹http://www.bouroullec.com/›.

« Ronan et Erwan Bouroullec. Vivre et travailler« , Vitra.com, En ligne, http://www.vitra.com/fr-fr/magazine/details/ronan-and-erwan-bouroullec-lifework, consulté le 07/04/2014.

La cuisine désintégrée

Er. et R. Bouroullec, Cuisine désintégrée, 1998, aluminium, bois, mousse dure peinte et plastique, 2200 × 700 x 900 mm,  © Feintrenie.

Er. et R. Bouroullec, Cuisine désintégrée, 1998, aluminium, bois, mousse dure peinte et plastique, 2200 × 700 x 900 mm, © Feintrenie.

La Cuisine désintégrée, créée en 1998, est une oeuvre qui marque un tournant dans la carrière des deux designers.

C’est en effet en présentant leur concept au Salon du Meuble de 1997 que les deux artistes se sont faits remarquer par l’éditeur milanais Giulio Cappelini. De cette rencontre découle une longue collaboration et leur reconnaissance dans l’univers du design.

La Cuisine désintégrée se compose d’un évier, d’une table et d’éléments de rangement en plastique, et de quatre pieds en aluminium.

Elle présente une toute nouvelle vision de ce que nous pouvions connaitre en matière de cuisine aménagée. La cuisine, précédemment conçue comme un élément architectural, devient ici un meuble à part entière. Elle est conçue comme un élément autonome (il suffit juste de rajouter les éléments de cuisson et l’eau). Elle est totalement indépendante du mur, se concevant comme une table qui n’a pas besoin du support d’un mur.

De plus, l’innovation principale se tient en la mobilité de l’ouvrage. Cette cuisine est conçue de telle manière qu’elle peut être repliée, déplacée et transportée aisément.  

Le style épuré donné par sa simplicité (La cuisine est moulée en une seule fois, supportée par 4 pieds) accentue son impression de mobilité.

La couleur blanche qui pourrait paraître à première vue anodine, a une signification majeure pourtant: elle empêche l’attribution de tous codes abusifs comme des critères de richesses ou de jeunesses. Ainsi la Cuisine désintégrée peut toucher un public universel.

La Cuisine désintégrée se place ainsi comme un meuble possédant sa propre gestion de l’espace, n’étant pas soumise à une architecture ou même à une conception temporelle puisqu’elle est déplaçable.

« 5 créations des frères Bouroullec », deco.journaldesfemmes.com, En ligne, http://deco.journaldesfemmes.com/design/interview/0709-bouroullec/1.shtml, consulté le 24/03/2014.